Aabym(et c'est reparti!)

Keith fronça des sourcils, plissant sa très pâle peau d'albinos. Le crayon (un 4B, il appréciait le toucher des crayons les plus gras) glissa d'entre ses doigts fins et deliés comme ceux d'un pianiste (pourtant, les seules notes jamais échappées de sa poigne sur un clavier d'ivoire avaient fait se hérisser les cheveux blondasse de sa professeur de musique) pour tomber aux pieds chaussés de bleu électrique de Lilian. Hmm. Lilian qui releva la tête, secoua les mèches aériennes de sa coiffure anarchique (mèches pour la plupart assorties aux grosses chaussures ferrées, d'un bleu légèrement violacé aux pointes des cheveux) et lacha un profond soupir. Mademoiselle Poirer se retourna un instant, dans un tourbillon de matière capillaire fraichement colorée de chez l'Oréal. Rousse, ce mois-ci? Avec quelques mèches brunes sur le devant. La jeune femme fit la moue -"Peu importe, ce ne sont que des élèves"-.

Arrêt sur image. La 3e C paraissait bien agitée. Cours habituel de français habituel, dans l'habituelle salle maudite du troisième étage du bâtiment A. La salle A306.

Assis au fond de la classe, le jeune albinos rêvassait. Et dessinait, surtout. Pour l'heure, il recuperait son crayon, mais les pages et les pages de son cahier, ornées de gribouillis de monstre, tourelles médiévales et autres jeunes elfettes à l'air un peu niais seraient bientôt sous sa main acharnée. Keith était maigrelet, les yeux rouges, la peau plus blanche que le plâtre douteux des murs. Des cheveux blancs en-veux-tu-en-voilà cascadaient sur ses épaules aussi épaisses que la liste des travaux utiles qu'avait donné Môdemoiselle la prof susnommée. Un jean délavé, -"hé, rien ne sera jamais aussi délavé que toi, patate!"-(paroles de Lilian!) un tee-shirt bien large et bien noir orné d'un dragon celtique gris et blanc, et une paire de baskets ayant l'avantage d'être plus pratiques pour courir que pour l'apparat.
Les chaussures qui les cotoyaient étaient de vraies godasses de guerre, à faire trembler les arrières-trains de ceux qui s'en prenait à Keith. Lilian. A coté du look "collègien classique: modèle 578", le look "punk venait de heurter un camion de peinture noire et bleue". Un blouson de motard, en vrai cuir, déchiqueté comme il se devait bien, ornée d'une jolie collection de pin's tête-de-mort et autres "A" anarchiques. Et de pin's pizza, aussi. Lilian faisait visiblement une focalisation sur les livreurs de pizzas. Le pantalon enchainé avec art, indigo et troué comme il se devait, s'ornait lui de pièces de tissu noir. Lilian avait le parfait look du punk version bleu total. Lilian aux beaux cheveux courts et hérissés de gel, teints de bleu. Oui mais Lilian était ce que Mademoiselle Poirer appellait "Mademoiselle, veuillez détourner votre attention de la feuille de votre voisin et continuer VOTRE interro". Seul le "mademoiselle" nous interesse dans le cas présent. LilianE, qu'on prononçait souvent Liliant, doublement à cause de l'orthographe et de l'apparence de la jeune fille.

Elle allait avoir...hum...Le visage de Lilian! Un joli visage, boudeur et court, opposé au visage maigre et rêveur du dessinateur, Keith, qui massacrait à présent sans merci une feuille blanche de l'esquisse du corps d'une femme. Bien sur en "vieilli" parce que ça n'irait pas, hein, sinon. Et en elfe. Comme Lilian focalisait sur les pizzas, Keith focalisait sur les elfettes. Peu importait comment, tous ses dessins de femmes -et ils étaient nombreux- étaient de jeunes elfes à l'air féroce et sadique. L'anatomie? Pas de cours, pas de bouquin, d'ailleurs. Quelques tutoriels dénichés sur le net. Google, mon ami! L'anatomie, donc, il la peaufinait. Ce dessin-là, il le sentait bien. Un regard en biai à la prof lui fit rectifier le trait des hanches du dessin. Lilian grogna et ricana:

"-Môssieurs prend modèle? Ah, mais que Mademoiselle arrête de se tortiller ainsi, ou la feuille de Kei sera pleine de ratures!"

Keith sourit et pouffa avant de replonger dans son dessin. Le visage s'esquissait, Lilian fit une grimace alors que Keith la fixait. Bon, okay, le nez était plus pointu, la bouche plus charnue mais la face était grosso-modo celle de Liane. Une Liane qui souriait gentiment, voilà bien quelque chose d'improbable.

Puis les vêtements se tracèrent d'eux-même. Un petit corset lacé, du plus pur style héroïc-fantasy dont raffolait l'albinos. Imaginer Lilian en jupe demandait un effort considérable, et c'est tout naturellement que le pantalon de cuir à large ceinture trouva sa place sur le corps de l'elfe. Un débardeur de cuir vint compléter le haut du corps. Et des bracelets de métal supportant des dagues -comment non plus ne pas imaginer une Liane désarmée?-.
Jolie, l'elfe. Lilian fronça les sourcils et rit à nouveau. Elle avait du se reconnaître. Depuis waa...hum...10 ans que Keith lui faisait son poitrait. C'était une sorte d'obsession chez son ami à la peau blanche.
Ami, on a dit, arrêtez les violons, la punkette n'aime pas! Depuis dix ans qu'ils se chamaillaient et se bousculaient...
Il y avait bien sur des langues bien pendues, mais peu de langues bien pendues résistent à un coup de chaussure ferrée dans la tronche. Charmante Lilian. D'ailleurs, d'après Keith, la seule chose qui pour l'instant interessait la jeune fille, c'était quand allait-elle manger de nouveau de la pizza. Une fixette. D'après Lilian, l'amour était une maladie qui aurait son lot de coups de botte si jamais elle pointait son nez chez elle ou chez Kei. La professeur choisit ce moment pour ouvrir sa jolie bouche peinturlurée:

"-Si monsieur Pilard daignait répèter ce que je vient de dire..."

La panique s'empara de l'albinos. Il était la cible favorite de la glamour Mademoiselle Poirer. Peut-être à cause de sa manie de dessiner en cours et d'avoir d'insolentes bonnes notes. Lilian ne pouvait rien faire, trop occupée à regarder le bout de ses doigts aux ongles courts et cassés. Lilian qui n'était pas en elle-même stupide mais qui considerait comme perte de temps le temps passé à écouter les cours. Reluquer les dessins de Keith était beaucoup plus passionant, comme était passionant le fait de manger une super-italienne-anchois-fromage.

Keith balbutia quelques mots à propos de la mise en abyme. De quoi parlaient-ils, déjà?
La sauveuse de l'albinos, située un rang derrière lui, souffla de sa voix mélodieuse la réponse. En bon habitué, Kei feignit la réflexion et sortit d'un jet la définition de la fameuse abyme...bien joli mot pour quelque chose d'aussi barbant. Il remercia d'un sourire la jolie voisine de derrière et Lilian eut un sourire sarcastique. Derrière, c'était Eva, qui estimait qu'entre gribouilleurs-pendant-les-cours, on se devait se de serrer les coudes. Eva, elle, dessinait à la perfection les chevaux et autres bestioles familières, mais peinait sur l'anatomie humaine. Eva, elle n'était dans le bahut que depuis le début de l'année. Sympathique, belle, bonne dessinatrice et bonne élève, elle ne manquait pas de s'attirer les foudres de Lilian. Ses courtes boucles auburn ornaient sa nuque joliment tracée. Keith se souvenait vaguement être sorti avec elle. Un bien beau couple, d'ailleurs, qui fit bouder pendant une lune Lilian. Un peu lassant, cet amour. Eva était une amie, finalement pas plus. Leur idylle passa inaperçue et ne resta pas dans les annales. Lilian ne lui en tint pas rigueur.
Le Dessin était achevé, les traits de construction effacés. Keith retint son souffle. L'elfe était belle, presque parfaite...Son meilleur dessin jusqu'alors. Sans nuls doutes. Le corps de Poipoir, le visage de Liane et, inconsciemment, le sourire d'Eva. La sonnerie fit ce à quoi elle était destinée, c'est sans grande surprise que l'on put l'entendre sonner. Le flot massif des 4'C s'engouffra par l'ouverture à un débit nettement supérieur à la possible. Qui se souciait de la possible quand on sortait enfin du français? Keith rangea en vitesse le précieux dessin dans son cahier de maths. Celui-là, il allait la mériter, la colorisation!
Sciences physiques. Cours. Blablabla épuisant pour les autres, mais depuis longtemps Keith avait appris à noter de la main gauche afin de pouvoir dessiner de l'autre. Son esprit, comme toujours, rêvait et vagabondait. Lui trouver un nom, à son chef-d'oeuvre. Un nom classieux. Il se rappellait fort bien le cours de français et cela lui tira un pâle sourire.

"Aabym, je te baptise..."

Chuchota t-il à son dessin. Lilian leva les yeux au plafond. Keith se montrait souvent fantasque. Encore un trait étrange, qui, associé à son apparence d'albinos, faisait bizarrement glousser les filles massées en troupeaux aux quatres coins de la cours. Aabym? Un nom étrange, mais elle en connaissait l'origine. Pourquoi vouloir baptiser un dessin? Un coup d'oeil et elle apprécia la maîtrise de son ami, de plus en plus efficace. Bon, okay, il pouvait, le croquis était sublime, après tout.

Aux confins des limbes, dans un endroit hors conscience, ou plutôt composé de toutes les consciences humaines et animales

Le cours était barbant, presque autant que le cours de français. Pas de TP aujourd'hui, les avait-on averti, faut plancher pour le contrôle. Sans blagues.

Dring...

La sonnerie...à nouveau sonnait, car tel était son bon plaisir (et aussi le plaisir du Principal Lahaie). Les élèves se ruaient dehors, liberés, pour une soirée, des cours. La plupart fonçaient, sans même prendre le temps de saluer les autres, justement pour retrouver sur msn les dit autres.
Keith ne fonçait pas parce qu'il avait un caillou dans la chaussure, et Lilian repartait à vélo.
C'était un caillou teigneux, petit et sec, gris (qui rappellait à Keith sa professeur d'histoire, la redoutable et redoutée Mme Boodt, championne poids plume du lancer de cahier à travers la salle), a quatre face, pyramidale et sadique, qui prenait un vicieux plaisir à se dissimuler dans les recoins de la chaussure complice. Lorsque, triomphal, Keith parvint à l'ôter, il poussa un retentissement cri de joie.
17h14...
Le sang macula le pare-brise de l'automobiliste.
Le sang macula la chaussée.
Le sang macula les vêtements et la peau de Keith.
Le sang macula le visage de Keith et un voile rouge s'abbatit entre le monde et lui, le même genre de voile rouge que celui qui pesait 38 tonnes et était décoré du slogan d'une célèbre marque de camembert. L'albinos souffla:
Aïe...
Sa main se referma sur la chair tiède et brûlante du passant devant lui. Ses doigts de pianiste se couvrirent de sang poisseux alors qu'il tirait en arrière la victime.
Ils sombrèrent.

la douleur s'accentuait et le souffle diminuait. L'enfant avait bien
(désolée, mais j'ai pas encore la suite^^)

J'A-DORE. ze veux la suiteuh

Yeah, ze suite, and now
*fan*

Citation :

Il y avait bien sur des langues bien pendues, mais peu de langues bien pendues résistent à un coup de chaussure ferrée dans la tronche

Citation :

Qui rappelait à Keith sa professeur d'histoire, la redoutable et redoutée Mme Boodt, championne poids plume du lancer de cahier à travers la salle

C'est humm comment dire...Génialissime ! Tes personnages sont hors du commun ! On est très loin des clichés habituels ! Un albinos dessinateur un une punk tombé dans un pot de peinture bleue XD

Mais il est pas mort Keith hein ? Y'a une espèce de grosse pierre qui est tombé dans mon estomac quand j'ai lu le passage ou il se fait écraser par le camemberts géant) Nan nan il est pas mort

Est ce que tu as la suite ????

N'aime les persos hors du commun^^
Merci à twaaaaah^^
Pour la suite...En cours de rédaction^^
(comme une tonne d'autres trucs )

La jeune femme insistait. Un ton à la fois léger, pressant et suppliant modelait chacune de ses paroles, qui, au demeurant, se trouvaient être un charabia sans nom.
"-La lumière viendra, le masque de la mort,
Les ténèbres viendront, l'étoile de l'obscur,
Et, divinement, se dressera le grand mur,
Au delà du miroir, dans les étendues d'or,

Le guerrier et le mage, unis par le reflet,
Séparés par l'essence, et identiques en eux,
Ainsi parle l'abîme en appellant le feu,
Ainsi parla Aabym aux enfants qui s'effraient,

Ainsi s'exprime la voix du rêve infini."

été modelé, mais dans l'Astral, son âme s'échappait, encore trop

La femme avait un visage déformé par la douleur, qui n'évoqua à Keith qu'une présentatrice télé qui se serait assise sur un porc-épic. Des yeux vitreux, et, encore une fois, la comparaison à la journaliste le fit sourire (en fait, l'ordre envoyé depuis le cerveau n'arriva jamais aux zygomatiques, ce qui aurait ruiné le sérieux de la scène, à vrai dire), des cheveux longs, lisses et d'une vive couleur pourpre. Sous l'épais liquide à moitié séché qui recouvrait le crâne fourni de la femme, quelques mèches noires apparaissaient pourtant; le sang n'avait donc pas tout recouvert.
Le sang. La femme se taisait, à présent, débitrice de prophéties, de sonnets, d'avertissements, de ragots, de grands cris vantant les qualité nutritionnelles des pastilles à l'extrait d'abricot marin, qu'en savait-il encore? Il avait oublié...
Déjà, la femme à la tête poisseuse, il l'oubliait, il s'enfonçait plus loin, plus prodondement dans le noir éblouissant.
Il avait oublié...
Oublié..
Oublié.
Oubli
Oub
La couleur du noir.
Blanc sur noir, scotché à l'encre rouge qu'il savait être du sang, serré contre l'idée de revoir Lilian, l'albinos tombait. Ou montait, cela dépend de ce que vous trouvez le plus poétique, dans les limbes éternelles de l'oubli de l'angoisse parce qu'un titre de ce genre pour un simple cauchemard, c'est vachement classe, quand même.

*Jalouse t'es trop forte*
viiiiii